Économie du Québec et changements climatiques : état des lieux sectoriels

Avec sa cible de carboneutralité d’ici 2050, le Québec désire participer à l’effort commun de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La province devra opérer des changements profonds afin de réussir sa transition vers une économie carboneutre. Or, même si l’on éliminait la totalité des GES dès maintenant, leur durée de vie dans l’atmosphère maintiendrait un réchauffement climatique pendant au moins un siècle, entraînant des stress et chocs climatiques amplifiés. Une proportion importante des entreprises et organismes de différents secteurs économiques sont ou seront donc impactés, à divers degrés, par les changements climatiques et la transition du Québec vers la carboneutralité. Dans un contexte de profonde transformation, il devient de plus en plus important de bien comprendre les conséquences (positives et négatives) des changements climatiques sur le système économique et identifier quels sont les secteurs économiques à cibler pour doter la province d’une économie plus résiliente aux changements climatiques.

1. Présenter une méthodologie pour identifier rapidement les secteurs d’activité stratégiques pour la résilience climatique de l’économie du Québec et ses régions; 

2. Brosser un portrait sommaire du poids économique et du niveau de préparation aux changements climatiques de dix secteurs d’activité stratégiques;

3. Formuler des recommandations afin d’orienter les futures recherches en adaptation aux changements climatiques et soutenir les secteurs économiques et régions du Québec;

4. Concevoir du matériel visuel et informer les secteurs économiques sur l’état de la situation en adaptation aux changements climatiques pour dix secteurs stratégiques.

• Revue de littérature des catégories de secteurs d’activité, des méthodes de priorisation des secteurs et des cadres conceptuels d’analyse de vulnérabilité pour proposer une méthodologie permettant d’identifier les secteurs d’activités stratégiques pour la résilience climatique de l’économie du Québec et ses régions;

• Revue de littérature sommaire du portrait économique provincial et régional et du niveau de préparation aux changements climatiques d’une sélection de dix secteurs stratégiques pour brosser des portraits sectoriels sous forme de fiche synthèse; 

• Recensement des grandes catégories d’acteurs impliqués dans l’écosystèmes d’affaires des dix secteurs sélectionnés, comparées aux organisations participantes aux projets d’Ouranos au cours de la programmation scientifique 2014-2019, afin d’offrir une perspective sur la mobilisation des acteurs.

L’approche méthodologique s’inspire de diverses catégorisations des secteurs (par exemple, du Ministère de l’économie et de l’innovation, Système de classification des industries de l’Amérique du Nord), et de cadres conceptuels d’analyse de vulnérabilité sectorielle, dont celui de  Yamasaki et al. (2012). 

En triant les secteurs selon trois critères hiérarchiques, dix secteurs ont été retenus (Tableau 1):

Ensemble, ces dix secteurs représentent environ 50% de l’emploi et du PIB du Québec en 2019. Lorsque la part du PIB est décomposée entre les grands trois secteurs de production (primaire, secondaire et tertiaire), la Figure A permet de constater qu’ils couvrent l’ensemble du PIB provenant du secteur primaire (4%), 19% du PIB total provenant du secteur secondaire (23%), mais seulement 24% du PIB total provenant du secteur tertiaire (72%). 

Figure A : Part du PIB total du Québec couvert par les 10 secteurs stratégiques sélectionnés en 2019.

Certains secteurs tels que l’agriculture, les pêches et l’alimentation, les transports, les technologies de l’information et des communications (TIC), l’énergie, les services financiers et les assurances sont à la fois des services essentiels pour la province et des moteurs économiques régionaux. Ceux identifiés par le gouvernement du Québec (2020) comme étant les plus vulnérables aux changements climatiques, (tourisme, foresterie, agriculture, énergie) s’y retrouvent. Toutefois, de nouveaux secteurs s’ajoutent à cette liste et sont reliés aux industries secondaires et tertiaires (transformations minières et forestières, alimentation, services financiers et assurances et les TIC).

Constats généraux

Les portraits sectoriels, également disponibles sous forme de fiches synthèse, permettent de tirer quelques constats généraux :

• Connaissances parcellaires : les connaissances sont relativement plus avancées pour les secteurs où les changements climatiques affectent directement la production primaire et dans une certaine mesure, la santé physique humaine et les infrastructures de transports. L’information disponible pour les secteurs secondaires et tertiaires analysés est encore très limitée. Même pour les secteurs où les connaissances climatiques sont plus avancées, encore peu d’études économiques ont été réalisées afin de saisir l’ampleur des coûts financiers, environnementaux et sociaux (tangibles et intangibles) à l’échelle du Québec et des structures régionales. 

• Préparation insuffisante des secteurs : il y a un besoin d’identifier les aléas les plus dommageables pour les secteurs stratégiques. Les résultats préliminaires révèlent que la majorité des secteurs étudiés ne sont pas prêts à faire face aux enjeux climatiques. 

• Déficit de données sur les impacts et les effets : bien qu’ils soient de plus en plus reconnus comme des risques matériels et financiers importants pour l’ensemble de l’économie (Warren et Lulham, 2021), les impacts en cascades et les risques cumulatifs des changements climatiques sont peu documentés, tant au sein des secteurs d’activité que du système économique d’ici et d’ailleurs. 

• Nécessité d’adopter une approche régionale : l’analyse de vulnérabilité du Québec doit adopter une perspective régionale afin d’ajuster les solutions d’adaptation visant à réduire les risques ou à saisir les facteurs d’opportunités, en fonction des besoins et des caractéristiques économiques des communautés. 

• Engagement des acteurs socio-économiques : une part importante du travail de mobilisation des réseaux d’acteurs par secteur économique reste à faire. Les connaissances doivent être mises en commun quant aux principaux aléas climatiques, au degré d’exposition et à la capacité d’adaptation. Cette mise en commun permettra à terme de mieux comprendre les interdépendances sectorielles, régionales et transfrontalières.

À la lumière de ces constats, quelques recommandations ont été formulées afin d’orienter les recherches en adaptation aux changements climatiques et soutenir les décideurs et les secteurs économiques tant au niveau du Québec et des régions. 

Recommandations

1. Mobiliser et engager davantage les réseaux économiques pour construire une vision commune de la vulnérabilité des systèmes économiques affectés par les changements climatiques et de leurs interdépendances;

2. Fédérer l’excellence multidisciplinaire pour générer des approches intégrées, acquérir des connaissances sur la vulnérabilité et la résilience et hausser les capacités d’action; 

3. Divulguer les risques et occasions auxquels les secteurs d’activités font face pour sécuriser les investissements et garantir les services à la population; 

4. Documenter, par la recherche et la mobilisation, les aléas et les combinaisons les plus préoccupantes pour les secteurs économiques du Québec afin d’orienter et sécuriser les investissements publics et privés requis en science de l’adaptation; 

5. S’adapter en tenant compte de la complexité du système économique, afin de tenir compte des effets en cascades, des dépendances intersectorielles et transfrontalières; 

6. Mesurer et suivre les progrès de l’adaptation pour permettre un ajustement proactif de la situation et partager les exemples de succès d’adaptation. 

Ce portrait, quoique limité, offre des pistes de réflexion pour mieux appréhender l’ensemble des risques, des effets en cascades et des impacts transfrontaliers sur l’économie du Québec. Elles visent à unir les forces-vives pour bâtir un portrait plus exhaustif de la situation et ainsi dégager les risques et opportunités liées aux changements climatiques. 

Dans une prochaine étape, les secteurs et les régions à risque pourraient être précisés à l’aide d’une mobilisation élargie des parties prenantes et d’une amélioration plus fine des connaissances. Ces actions permettraient de mieux appréhender les aléas problématiques et leur combinaison pour les secteurs d’activité à risque et finalement, soutenir une certaine priorisation des risques pour le Québec et ses régions.

Annabelle Lamy