Évaluation de l’impact des changements dans l’occupation des terres sur le climat – Phase I
Plusieurs mesures d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques impliquent des changements dans l’occupation des terres, notamment l’aménagement urbain, les pratiques agricoles, la plantation d’arbres ou de cultures pour bioénergie ou captation de carbone, et la restauration d’écosystèmes naturels
Détails du projet
Responsable(s) scientifique(s)
Contexte
Les changements d’occupation des terres altèrent les échanges d’énergie et d’eau entre l’atmosphère et la surface terrestre. Par exemple, la conversion d’une forêt en terre agricole modifie la réflectivité et la rugosité de la surface, ainsi que sa capacité à retenir et à relâcher de l’eau par évapotranspiration. Ces effets biophysiques ont une influence importante sur le climat aux échelles régionale et globale. Pourtant, les modèles de climat régional peuvent répondre de manière fort divergente à de tels changements d’occupation des terres.
L’objectif principal de ce projet est d’évaluer la réponse du MRCC5 et du modèle canadien de surface (CLASS) à des changements sévères dans l’occupation des terres, et de comparer cette réponse aux autres modèles régionaux utilisés par la communauté scientifique internationale. Il s’agit d’une étape préliminaire essentielle en vue d’évaluer l’impact de l’occupation des terres sur les climats historique et futur lors de la phase II du projet. Les simulations produites seront également utilisées dans un projet connexe visant à évaluer l’impact de l’occupation des terres sur les inondations.
Ce projet s'est déroulé en deux phases.
Objectif(s)
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Évaluer la sensibilité du Modèle régional canadien du climat version 5 (MRCC5) et du modèle canadien de surface (CLASS) à un changement sévère d’occupation des terres, c’est-à-dire au boisement et déboisement complet des régions non-désertiques;
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Quantifier les effets biophysiques de ces changements dans l’occupation des terres en Amérique du Nord et en Europe en comparant les réponses de divers modèles régionaux du climat et modèles de surface ;
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Partager les données produites afin d’évaluer l’impact de l’occupation des terres sur les inondations.
Ce projet s'inscrit dans l'initiative INFO-Crue mise sur pied par le MELCCFP.
Méthodologie
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Produire des simulations du MRCC5 pilotées par la réanalyse ERA-Interim sur deux domaines, Amérique du Nord et Europe, avec deux couvertures de végétation, entièrement boisée (Forêt) et déboisée (Herbes), tout en suivant le protocole de Land-Use and Climate Across Scales (LUCAS) ;
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Comparer la climatologie des simulations Forêt et Herbes afin d’évaluer la sensibilité du MRCC5 et de CLASS à ce changement sévère dans l’occupation des terres ;
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Comparer les résultats des simulations MRCC5/CLASS sur le domaine Europe avec l’ensemble de simulations produites par LUCAS ;
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Initier un effort concerté de comparaison entre divers modèles de climat régional et modèles de surface à l’instar de LUCAS, mais pour le domaine Amérique du Nord;
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Comparer l’ensemble de simulations produites sur le domaine Amérique du Nord à l’ensemble LUCAS sur le domaine Europe afin d’évaluer la transférabilité des résultats.
Résultats
Production d’un nouveau jeu de simulations
Un jeu de six simulations climatiques a été produit avec le MRCC5 permettant de tester la sensibilité du modèle à des changements importants de végétation – une déforestation ou un boisement complet de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Puisque le protocole de LUCAS a été suivi, il a été possible de comparer la sensibilité du MRCC5 en Europe à l’ensemble LUCAS, qui comporte neuf combinaisons de modèles régionaux et modèles de surface. Des chercheurs du National Center for Atmospheric Research et l’UQAM ont également participé à l’initiative en produisant des simulations avec leurs propres modèles sur l’Amérique du Nord. Ainsi, non seulement la réponse du MRCC5 a été analysée en profondeur, mais il a été possible de comparer cette réponse à un ensemble de simulations sur les deux continents.
Réponse hivernale
À l’instar de la majorité des modèles climatiques, le MRCC5 simule un réchauffement biophysique (c.-à-d. excluant l’effet des gaz à effet de serre) important dû à la présence de forêts. Ce réchauffement est causé par une diminution de l’albédo de la surface. En effet, dans les simulations Herbes, la végétation est facilement ensevelie de neige (albédo élevé). À l’inverse, dans les simulations Forêts, la sombre canopée des conifères, qui conservent majoritairement leurs épines durant la saison froide et peuvent ainsi masquer la neige au sol (albédo faible). Ainsi, une plus grande fraction de l’énergie solaire est absorbée par la surface, ce qui cause un réchauffement concentré majoritairement dans les forêts boréales. Celui- ci est plus important en Amérique du Nord qu’en Europe, parce que les forêts de conifères s’étendent à de plus faibles latitudes (et donc plus ensoleillées) en Amérique. Par rapport aux autres modèles de l’ensemble LUCAS Europe, le MRCC5 a une réponse avec un patron spatial similaire, mais avec l’amplitude la plus prononcée. Le modèle WRF-NOAH produit une réponse peu fiable car le mécanisme de masquage de la neige n’est pas possible. Ainsi, sa réponse est faible par rapport aux deux versions du MRCC, qui sont très similaires.
Figure 1 : Réponse hivernale du MRCC5 au boisement (simulations Forêts-Herbes), moyennées sur les années 1986 à 2015.
Réponse estivale
Le signal est nettement plus complexe l’été, et les modèles peinent à s’accorder même sur le signe de la réponse en température. La source de ce désaccord semble se situer au cœur des modèles de surface, qui produisent des partitions différentes entre flux de chaleur sensible et latent. Cette divergence a également été relevée dans un ensemble de modèles globaux sujet à une expérience de sensibilité similaire. La végétation influence fortement l’efficacité de l’évapotranspiration de la surface. Par exemple, une forêt de feuillus est typiquement associée à une plus forte transpiration que des terres herbacées (c’est le cas dans CLASS, mais pas dans tous les modèles de surface). Règle générale, plus une catégorie de végétation favorise les flux de chaleur latente (évapotranspiration), plus les flux de chaleur sensibles seront réduits. Il s’en suivra un refroidissement relatif, puisque l’énergie est investie à briser des liaisons hydrogènes plutôt qu’à réchauffer l’air près de la surface. C’est effectivement ce qui est observé dans les ensembles de simulations en Amérique du Nord et en Europe : les modèles qui démontrent une augmentation des flux de chaleur latente aux dépens des flux de chaleur sensible tendent à produire un refroidissement estival, et vice versa. Les deux versions du MRCC/CLASS produisent un refroidissement au-dessus des forêts de feuillus. L’effet sur l’évapotranspiration du remplacement des forêts boréales par des herbes est moins clair. La diminution de l’albédo domine alors, et la sombre canopée des forêts de conifères cause un réchauffement estival aux hautes latitudes. Ainsi, la réponse estivale en température du MRCC5 forme un dipôle, avec un réchauffement aux hautes latitudes (forêts de conifères) et un refroidissement aux basses latitudes (forêts de feuillus). La moyenne des réponses estivales des modèles de l’ensemble LUCAS produit également un tel dipôle, mais d’amplitude plus faible que celui produit par le MRCC5.
Sommaire
L’expérience Forêts-Herbes a permis d’évaluer la sensibilité du MRCC5-CLASS à des changements drastiques d’occupation des sols, et de comparer cette sensibilité à celle d’une multitude d’autres modèles régionaux du climat et modèles de surface. L’analyse de ces simulations confirme que le MRCC5-CLASS se situe favorablement par rapport à l’ensemble, c’est-à-dire qu’il semble représenter adéquatement les processus importants (changements dans l’albédo dû à la neige et l’efficacité de l’évapotranspiration, par exemple) et que sa réponse est comparable à celle du reste de l’ensemble. Ces nouvelles connaissances seront essentielles à la réalisation de la seconde phase de ce projet, qui vise à évaluer l’impact climatique de changements d’occupation du sol réalistes.
Retombées pour l'adaptation
Retombées pour l'adaptation
Plusieurs mesures d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques impliquent des changements dans l’occupation des terres, notamment l’aménagement urbain, les pratiques agricoles, la plantation d’arbres ou de cultures pour bioénergie ou captation de carbone, et la restauration d’écosystèmes naturels.
Ce projet permettra d’évaluer les impacts climatiques régionaux de telles actions, comme la modification des régimes de précipitations et des températures extrêmes.
Le volet hydrologique du projet permettra d’évaluer les impacts des changements d’occupation des terres sur les régimes hydriques, notamment les inondations.
Un article signé Olivier Asselin PhD, spécialiste en climatologie chez Ouranos
Publications scientifiques
Financeur(s)
Autres participants
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Université du Québec à Montréal
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NCAR
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GERICS
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CCCma
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Direction de l'expertise hydrique (MELCC)
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École de technologie supérieure
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LMU
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LRZ
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