Eaux souterraines et climat : vers une gestion éclairée des ressources au Québec
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L’eau est une ressource souvent considérée, à tort, comme inépuisable. La facilité d’accès à l'eau, en plus de l'abondance des plans d’eau sur le territoire québécois, rend son utilisation très commune. Néanmoins, les ressources en eau au Québec peuvent être vulnérables aux changements climatiques. 

En effet, le Québec compose avec des périodes de sécheresse hydrologique et d’étiage, surtout en été et en automne ; la province peut donc être confrontée à des périodes de déficit en eau. 

Bien que les connaissances générales sur les eaux de surface telles que les lacs et les rivières soient bien établies au Québec, celles sur les eaux souterraines sont quant à elles moins connues. Pourtant, les eaux souterraines permettent d'approvisionner près de 90 % du territoire habité et d'alimenter 25 % de la population. 

Marie Laroque, professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère à l’Université du Québec à Montréal et chercheuse principale à la Chaire de recherche sur l’eau et la conservation du territoire, fait le point quant aux connaissances sur les eaux souterraines au Québec, notamment dans le contexte des changements climatiques. 

État des connaissances sur les eaux souterraines 

Historiquement, au Québec, les eaux de surface ont été beaucoup plus étudiées que les eaux souterraines. Cela s’explique par l’accès simplifié tant aux données qu’aux eaux de surface en elles-mêmes, lesquelles sont plus visibles et plus accessibles que celles qui se retrouvent sous terre.

En 2008, le gouvernement du Québec a commencé à financer des projets d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines (PACES), lesquels se sont appuyés sur des travaux exploratoires menés par la commission géologique du Canada à la fin des années 1990 et au début des années 2000. 

Ayant pour but de cartographier et de brosser un portrait réaliste et concret des ressources en eaux souterraines dans la presque totalité des zones habitées du territoire québécois, ce mandat a été réalisé par plusieurs universités du Québec. Les projets de recherche qui en ont découlé ont eu de nombreuses retombées, notamment la consolidation des activités de formation et de recherche en hydrologie au Québec, la formation de main-d’œuvre qualifiée, la création d’une base de données et de cartes sur les eaux souterraines du Québec (en libre accès) et la consolidation du Réseau de suivi sur les eaux souterraines du Québec (RSESQ).  

En date de 2022, la cartographie de la presque totalité des zones habitées du territoire québécois habité a été complétée, comme le montre la figure suivante. Il est à noter que la grande superficie du territoire québécois et son accès parfois complexe, ainsi que les dépenses requises pour effectuer l’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines, expliquent les délais importants de cette démarche, comparativement à la cartographie des eaux de surface. Toutefois, cette cartographie est fort utile, notamment pour les municipalités qui ont accès désormais à des données et à des cartes pouvant les renseigner sur les eaux souterraines présentes sur leur territoire.

figure

Figure 1 : Couverture territoriale de la connaissance sur les eaux souterraines. Les zones en rouge sont maintenant cartographiées depuis 2022 (tiré de : MELCCFP, 2024).

Eaux souterraines et changements climatiques 

Étant donné que les eaux souterraines se renouvellent par la percolation de l'eau provenant de la surface, elles sont influencées de manière plus indirecte par les changements climatiques que les rivières et les lacs. 

Malgré tout, pour les eaux souterraines, les événements météorologiques extrêmes qui se multiplient, comme les précipitations intenses, posent un défi singulier : une grande quantité d’eau en peu de temps peut dépasser la capacité d’absorption du sol. Cette situation est exacerbée dans les régions où le sol est peu perméable, rendant certaines zones plus vulnérables à des baisses de niveaux d’eau souterraine.  

Essentiellement, l’augmentation des températures et les modifications aux patrons de précipitations liés aux changements climatiques auront des conséquences sur les eaux souterraines. Bien que les effets de ces changements soient encore relativement peu marqués, de légères tendances à la baisse ont commencé à se dessiner dans certaines régions au cours des dernières années. Par exemple, de l’automne 2020 à l’été 2021, les températures anormalement élevées et le manque de précipitation ont conduit à des niveaux d’eau souterraine plus bas que la normale dans plusieurs des régions du Québec. 

Dans les prochaines décennies, l’intensification des changements climatiques pourrait affecter significativement le renouvellement des eaux souterraines et leurs interactions avec les autres composantes du cycle de l’eau. Cependant, les effets des changements climatiques sur les eaux souterraines ne sont pas simples à projeter. 

Ainsi, malgré des tendances qui émergent, des recherches sont en cours pour mieux comprendre la dynamique des eaux souterraines et affiner notre compréhension des effets des changements climatiques sur celles-ci. Ces nouvelles connaissances seront utiles pour aider la collectivité québécoise à s’adapter et à limiter les conséquences potentielles.  

Des enjeux à l’horizon

La baisse du niveau des nappes phréatiques peut poser un défi important pour la majorité (80 %) de la population rurale du Québec qui dépend d’un puits pour son approvisionnement en eau. Cette situation touche non seulement la quantité d’eau disponible, mais peut aussi en amoindrir sa qualité. Par exemple, la diminution des niveaux de nappes phréatiques peut avoir des répercussions sur la santé publique, notamment par la propagation de maladies liées à l'eau contaminée, comme une infection à la bactérie E. coli. L'approvisionnement en eau des municipalités et des exploitations agricoles, qui nécessite de grandes quantités d'eau, pourrait quant à elle devenir plus difficile avec la baisse de niveaux d’eau.

Les écosystèmes naturels souffrent également de ces changements. En périodes d’étiages, les aquifères peuvent apporter de l’eau fraîche au cours d’eau, ce qui favorise les habitats de reproduction de certaines espèces aquatiques. Toutefois, si les niveaux de nappes phréatiques diminuent, moins d’eau souterraine atteint les cours d'eau, entraînant une hausse de la température de l'eau. Cette augmentation peut nuire à la reproduction des poissons, comme les salmonidés.

Par ailleurs, la baisse prolongée des niveaux d'eau souterraine, surtout après une succession d’étés secs, peut provoquer l'envahissement des tourbières et des milieux humides par des espèces ligneuses, comme les arbres. Ce phénomène, appelé boisement, contribue à une diminution très localisée des niveaux des nappes phréatiques en bordure des milieux humides. Dans les tourbières, ce boisement réduit non seulement la quantité d’eau présente dans la tourbe, mais menace aussi la biodiversité de ces écosystèmes.

La recherche pour mieux comprendre

Bon nombre de connaissances demeurent à acquérir sur le fonctionnement des systèmes liés aux eaux souterraines, particulièrement dans un climat en changement. Dans ce contexte, une meilleure compréhension de la prévision des interconnexions du cycle de l’eau est essentielle.  

À cet effet, un financement majeur a été confirmé pour plusieurs années dans le but de mettre sur pied un observatoire de l’ensemble du cycle de l'eau à travers l'Est du Canada. Celui-ci a notamment comme objectif d’instrumentaliser et d’homogénéiser la récolte de données afin de tenir compte de l'ensemble du cycle de l'eau. Ultimement, les interconnexions de ce cycle seront modélisées en intégrant chacune de ses composantes. 

La recherche permettra de mieux comprendre la dynamique des eaux souterraines et, à terme, de planifier une meilleure adaptation pour nos infrastructures et nos municipalités et d’anticiper les impacts sur nos communautés et écosystèmes. 
 

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