Perspectives autochtones

Dossier spécial

Les perspectives autochtones vis-à-vis des changements climatiques sont variées et présentent une mosaïque de savoirs mettant de l’avant la résilience, le respect de la nature, l’importance des connaissances traditionnelles et la nécessité de prioriser des solutions locales et autodéterminées.

Les Premières Nations et Inuit au Québec (PNI) sont en première ligne des changements climatiques. Par la relation étroite qu’elles maintiennent avec leur milieu, elles sont souvent les premières à percevoir les changements et à en subir les conséquences. Cependant, les peuples autochtones détiennent une capacité d’adaptation hors pair. 

Ces perspectives sont aussi nombreuses qu’il existe de communautés. Elles sont fondées sur les rapports particuliers qu'entretiennent les peuples autochtones avec leurs territoires depuis des milliers d'années. Malgré le caractère unique de chacune, elles partagent des principes communs.

 

Respect et réciprocité avec la nature

Les peuples autochtones considèrent l’humain comme faisant partie intégrante de la nature. La sécurité alimentaire de ces peuples est souvent fortement liée, voire dépendante, de l’environnement très localisé dans lequel un peuple peut avoir vécu depuis plusieurs générations. Par conséquent, la relation de respect et de réciprocité avec cet environnement, qui s’exprime jusque dans l’identité et les pratiques culturelles ainsi que dans la capacité adaptative de chaque peuple, est primordiale. 

Cette vision du monde a mené à l’évolution de savoirs et de systèmes de connaissances très développés sur les environnements de vie des peuples autochtones. Il existe plusieurs manières de définir ce qui est entendu par « savoirs autochtones », puisque ceux-ci sont uniques, se développent dans des contextes propres à chaque peuple et doivent être définis par les peuples eux-mêmes. 

Cependant, ces savoirs partagent généralement des traits communs : ils sont de nature empirique et cumulative, ils sont transmis entre les générations et ils reflètent les relations dynamiques entre les personnes, leurs écosystèmes et les autres êtres vivants sur leurs terres. Les savoirs autochtones peuvent inclure des pratiques de gestion durable des ressources naturelles et des systèmes de gouvernance qui mettent l’environnement au cœur des décisions.

Les savoirs autochtones sont transmis par la langue et ancrés dans les protocoles culturels, ce qui place la compréhension de la nature et du climat des PNI au centre même de leur identité. La préservation de ces langues est donc une partie vitale de la transmission de ces savoirs.
 

 
Conscience intergénérationnelle / Septième génération

Les liens familiaux et intergénérationnels structurent les conceptions autochtones sur la gestion des terres. Par exemple, on accorde beaucoup de respect aux aînés en tant que transmetteurs de la connaissance, puisqu’ils sont considérés comme des experts en matière d’observation, de suivi et d’évaluation des changements environnementaux. 
 

Le concept de la septième génération englobe cette conscience intergénérationnelle, même s’il n’est pas explicitement utilisé par l’ensemble des peuples autochtones. Cette idée, dont l’origine est souvent attribuée à la confédération iroquoise (Haudenosaunnee), propose de considérer les sept prochaines générations. Cela nécessite de prendre en considération l’impact et la durabilité des décisions concernant notamment l’énergie, l’eau et les ressources naturelles dans toute planification. 

Une perspective alternative considère les sept générations sur le plan de l’expérience vécue, plaçant la génération actuelle au centre, les autres représentant les arrière-grands-parents, les grands-parents, les parents, les enfants, les petits enfants et les arrière-petits-enfants. Sous cette optique, l’individu se voit comme un maillon dans une lignée, impliquant une prise de conscience de sa connexion à ses ancêtres et à ses descendants. 

 
Autodétermination et gouvernance locale

Les systèmes de gouvernance autochtones s'appuient sur les savoirs autochtones, qui englobent l'ensemble des connaissances, des pratiques et des croyances relatives à la relation des êtres vivants entre eux et avec l'environnement. Ces systèmes reflètent également un fort désir d’autonomie dans la gestion des terres et des ressources. 

Le concept d'autodétermination est au cœur des approches autochtones de la gouvernance, en particulier dans le contexte de la gestion de l'environnement. Les Autochtones favorisent ainsi des approches de cogestion et de collaboration qui respectent leurs connaissances traditionnelles et leurs systèmes de gouvernance. Au Canada, ils ont d’ailleurs le droit inhérent de gouverner leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, ce qui inclut le droit d'élaborer et de mettre en œuvre leurs propres stratégies dans la lutte contre les changements climatiques. 

L’accent est donc mis sur des initiatives menées par et pour les Autochtones afin de répondre efficacement aux défis environnementaux, sociaux et économiques. Ainsi, les dirigeants autochtones s’efforcent activement d’influencer les cadres politiques afin de garantir la représentation des perspectives autochtones concernant les changements climatiques et de faire valoir le soutien auprès des actions climatiques autochtones

Les dialogues à cet effet avec les différentes entités gouvernementales varient d’une Nation ou d’un peuple à l’autre et selon le thème. Pour certains, ce dialogue se fait directement entre les gouvernements autochtones, provinciaux et fédéraux. Il existe également des organismes de représentation politique qui agissent comme interface pour plusieurs Nations et peuples, tels que :

 

Les changements climatiques ne peuvent être compris qu’à la lumière du colonialisme 

Pour les PNI, le changement climatique va plus loin que les impacts directs et est rattaché implicitement aux effets du colonialisme. En matière de changements climatiques, le colonialisme a affecté, et affecte toujours, les PNI au niveau du territoire, de la capacité d’adaptation et de l’autogouvernance. 

D’abord, l’extractivisme, intimement lié au colonialisme, est à l’origine de profondes transformations perçues dans l’environnement, du fait de l’occupation des territoires et de l’exploitation de ses ressources naturelles (par exemple, l’agriculture, la coupe forestière, l’extraction minière et l’hydroélectricité). 

Ensuite, les PNI maintiennent un lien étroit avec leurs environnements, leur permettant de développer une capacité d’adaptation aux changements climatiques. Cela étant, certaines impositions découlant du colonialisme engendrent pour plusieurs des défis dans le maintien de cette capacité. En effet, des bousculements comme les pensionnats et la relocalisation de communautés ont contribué dans plusieurs cas à un bris dans la transmission intergénérationnelle de connaissances et à la création d’une séparation autrefois inconcevable des individus avec leur environnement.

 

Finalement, les PNI doivent naviguer des systèmes de gouvernance construits dans un contexte de colonisation pour revendiquer leurs droits, entreprendre leurs activités et continuer à s’adapter aux multiples changements imposés par ces systèmes. De plus, les politiques et les habitudes mises en place dans la province et au pays peuvent compliquer l’intégration des savoirs autochtones dans les politiques concernant les changements climatiques. 

Il existe d’autres difficultés relatives à l’intégration des perspectives autochtones, dont :

  • les protocoles de recherche et les permis qui existent pour guider les pratiques de production de connaissances liées aux peuples autochtones ne sont pas systématiquement utilisés;

  • le manque de considération pour les intérêts des communautés dans les projets de recherche et d’exploitation sur leurs territoires;

  • la volonté de produire des politiques applicables de façon uniforme plutôt que selon le contexte local ou culturel;

  • un manque de familiarité avec les perspectives, processus et approches de recherche favorisés par les PNI (p. ex., les cercles de parole);

  • l’absence de suivi des engagements pris auprès des communautés autochtones au début d’un projet.

Chercher l’équilibre avec la double perspective

Cette dissonance entre les perceptions autochtones et allochtones, ainsi que les défis qui en découlent, peuvent être atténués grâce à une approche axée sur la réconciliation et la décolonisation. Ceci requiert toutefois un important et sincère travail d’écoute, d’ouverture, de formation et de collaboration.

Les Aînés Mi’gmaq Albert Marshall et Murdena Marshall ont abordé ce défi en collaboration avec Cheryl Bartlett, professeure de biologie à l’Université du Cap-Breton, en élaborant le concept de la double perspective (two-eyed seeing). L’approche préconise de reconnaître les forces des savoirs autochtones et celles des savoirs occidentaux, afin de combiner ces deux perspectives au bénéfice de tous. Cette méthode encourage l’apprentissage mutuel et la coopération, ce qui permet de poser des questions plus pertinentes, de valoriser la diversité des points de vue et d’analyser les politiques publiques de manière plus inclusive.

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